• Vos parcours bien que relativement différents ont tous deux abouti à l’envie d’entreprendre dans la santé : quel a été le cheminement qui vous a menés à vous lancer respectivement dans deuxièmeavis.fr et Continuum+ ?

Pauline d’Orgeval : Je dois d’abord rappeler qu’il y a trois cofondatrices à l’origine de Deuxièmeavis.fr : Catherine Franc, Prune Nercy et moi. Pour ce qui est de mon parcours, j’ai monté puis dirigé pendant dix ans 1001 Listes, un service digital de listes de mariage qui m’intéressait notamment pour son volet art de vivre, voyages et tout l’environnement dans lequel il me permettait évoluer. Puis j’ai eu envie de travailler sur un projet d’intérêt général, quelque chose qui ait du sens donc j’ai passé près d’un an à rencontrer des associations, des fondations, des médecins pour comprendre quels étaient les besoins. Très vite, la santé m’est apparue comme un secteur passionnant : tous les secteurs avaient été révolutionnés par le numérique, sauf la santé ! Il y avait encore plein de choses à apporter dans ce milieu qui n’avait presque pas bougé depuis 20 ans.

Guillaume Gaud : Je suis né dans une famille où la médecine et le soin sont omniprésents.  Mon père est médecin et ma mère infirmière. Mon frère est médecin et moi pharmacien. On peut dire que c’est dans l’ADN familial ! Lorsque j’ai entrepris mes études de pharmacie, je voulais  apporter des solutions aux soignants à travers  le médicament. A l’issue de ma formation, je me suis orienté vers le milieu industriel pour aider à la diffusion des innovations thérapeutiques. Après 20 années passées en laboratoires, j’ai ressenti le besoin de donner davantage de sens à mon action en me rapprochant des patients, des aidants et des soignants. Je me suis beaucoup intéressé aux besoins et aux difficultés que rencontrent les  patients, en particulier dans le domaine du cancer. Le remarquable travail réalisé par Cancer@dom a largement nourri ma réflexion et attisé mon désir d’apporter ma contribution aux enjeux que représentent le développement de l’ambulatoire et l’émergence de la e-santé. Je suis  convaincu qu’une alliance du numérique et de l’action des soignants peut transformer notre façon de prendre en charge les patients afin d’assurer le continuum thérapeutique entre l’hôpital et la ville. Face à ce vaste champ des possibles, l’entrepreneuriat m’est apparu comme le meilleur moyen d’apporter ma pierre à l’édifice. C’est ainsi que Continuum+ est né. Ensuite, la rencontre avec mes actuels associés a permis de concrétiser cette ambition, une ambition que nous partageons malgré la grande diversité de nos profils et parcours. Nous sommes actuellement 6 dont 5 co-fondateurs embarqués dans cette formidable aventure entrepreneuriale. Nous partageons 3 valeurs fédératrices qui guident nos décisions et nos actions : la responsabilité vis-à-vis de ce que nous pouvons apporter aux  patients, la collaboration avec les professionnels de santé pour que chaque acteur puisse tirer parti de la solution au bénéfice du patient, la durabilité qui est la conséquence des deux premières.

  • Pouvez-vous citer quelques spécificités de l’innovation en santé : quelles sont les contraintes majeures du secteur et quelles qualités entrepreneuriales s’imposent pour les dépasser ?

Pauline d’Orgeval : Tout d’abord, la santé est un milieu très conservateur, où subsiste un vrai corporatisme : c’est très politique, et touchy. La deuxième chose, qui saute aux yeux, c’est le caractère très réglementé de la santé, avec des contraintes de sécurité, de confidentialité et de conventionnement extrêmement fortes. L’entrée en vigueur de la RGPD a sensiblement renforcé l’exigence de protection des données. Plus généralement, l’obtention des autorisations de la CNIL et du conventionnement par une Agence Régionale de Santé sont très contraignants. Une autre contrainte est celle de la communication, plus précisément de la subtilité de la communication en santé. Contrairement à une start-up engagée sur un marché classique, on parle de vies humaines. Dans le cas de Deuxièmeavis.fr, il s’agit de pathologies lourdes : nous avons fait le choix de ne pas communiquer avec de la publicité, de ne pas acheter de mots-clés et de veiller à adapter notre discours.

Guillaume Gaud : La santé et particulièrement la santé en France ne manque pas de spécificités. Culturelles par son fonctionnement très cloisonné centré sur la performance médicale, organisationnelles par la multiplicité de structures qui se complètent mal, juridiques et réglementaires pour protéger au mieux les intérêts du patient – parfois en les surprotégeant. Enfin, une spécificité propre à la France, c’est l’importance de la puissance publique et de son modèle de financement pour assurer la gratuité des soins ou limiter au maximum le reste à charge. Un véritable garde-fou pour tenter de préserver une équité d’accès aux soins. Mais il faut noter que certaines de ces spécificités constituent autant d’obstacles à la diffusion des innovations surtout dans notre domaine, celui de la e-santé. Il nous faut composer avec, faire preuve de persévérance, de résilience mais aussi de beaucoup d’écoute, de dialogue pour lever les freins individuels ou collectifs. Pour réussir, il faut avoir une compréhension globale du domaine, de ses acteurs, des attendus des différentes parties prenantes et une capacité à fédérer autour d’initiatives concrètes sans hésiter parfois à bousculer l’ordre établi. Actuellement, sous la pression des associations de patients, des nouveaux acteurs du numérique et des récentes politiques de santé, en particulier « ma santé 2022 », on assiste à une formidable dynamique d’innovation et une envie de faire évoluer le cadre. A suivre.

  • Pourquoi privilégier des fonds d’impact en tant qu’entrepreneur dans la santé ? Dans vos cas respectifs, qu’est-ce qui a déterminé ce choix ?

Pauline d’Orgeval : Pour nous, c’était une évidence. La santé a du sens, elle est au service de la vie humaine : c’est une façon d’entreprendre autrement. Le seul facteur économique et financier ne doit pas être la motivation première mais doit être mis au service de l’amélioration de la santé des gens. La santé est un vrai sujet d’intérêt général : la philosophie des fonds d’impact qui est de trouver un modèle économique au service d’une cause s’y applique complètement. Je ne vois pas comment on pourrait l’imaginer autrement, à moins de passer par une association. Par ailleurs, ayant déjà vécu une aventure entrepreneuriale, je savais que la question de la revente, de la sortie du fonds, se poserait plus tôt avec un fonds classique. Avec un fonds d’impact, il y a une vraie réflexion sur la continuité de l’impact au moment de la sortie, et une logique de long terme : un projet dans la santé prend du temps, il y a beaucoup de lourdeurs, de subtilités, de contraintes donc il faut avoir du temps devant soi. C’est ce qui a joué dans notre décision.

Guillaume Gaud : Quand on parle de la prise en charge d’un patient, l’impact recherché est naturellement médical. Avec la solution AKO@dom que nous proposons et qui est une solution d’accompagnement numérique et humanisé du patient à domicile atteints d’un cancer, nous souhaitons aller plus loin.  Nous recherchons un impact social autour de la mise en relation des acteurs de santé de la ville et de l’hôpital qu’ils appartiennent à des structures publiques, privés ou qu’ils exercent en libéral ; autour également de la prise en charge des patients les plus vulnérables ou fragilisés dans des territoires isolés géographiquement, pauvres en ressources médicales de proximité. En cela le choix d’un fonds d’impact ayant cette expérience et partageant notre ambition s’est imposé comme une évidence. De plus, le temps long est une dimension inhérente à tout projet en santé surtout lorsqu’on adresse des enjeux organisationnels ; la recherche d’un retour sur investissement à court terme est incompatible avec ce type de démarche. Vincent Fauvet et l’équipe d’Investir&+ nous ont rassurés sur leur capacité à le prendre en compte.

  • Un des facteurs cruciaux à nos yeux est l’engagement personnel des dirigeants et la volonté première d’avoir un impact positif : d’où tirez-vous cet engagement ? Se matérialise-t-il sous d’autres formes que celle de votre projet entrepreneurial ?

Pauline d’Orgeval : Dès la fin de mes études, j’ai voulu travailler sur un sujet d’intérêt général mais ne l’ai pas fait tout de suite pour plein de raisons. Mon père me disait que créer des emplois était le meilleur moyen d’aider les autres : j’ai commencé par en créer 80 chez 1001 Listes et aujourd’hui 12 chez Deuxièmeavis.fr.
D’un point de vue plus personnel, j’ai quatre enfants dont l’un a un handicap. Je suis très engagée autour du handicap et dans des associations liées à cette thématique. Nous avons fondé avec Catherine et Prune l’association CoActis-santé où nous sommes engagées toutes les trois sur l’accès aux soins des personnes en situation de handicap. Nous avons trois salariés et deux projets en cours. Le premier, SantéBDd.org, est une application et un site qui explique la santé de manière illustrée et adaptée à tous les publics, dans la même logique que Deuxièmeavis.fr : s’adresser à tous, être universel tout en prenant en compte les spécificités liées au handicap, sans les stigmatiser. Le deuxième projet, Handiconnect, concerne la formation des professionnels de santé dans l’accueil des personnes en situation de handicap.
Le fil conducteur de notre engagement avec Catherine et Prune est l’accessibilité, liée au handicap dans le cadre de CoActis-Santé, et relative à un haut niveau d’expertise médicale dans le cadre de Deuxièmeavis.fr.
Je suis engagée à titre personnel dans Ciné-ma différence, une association qui promeut l’accessibilité du cinéma et du spectacle vivant. Je suis également au Comité Handicap de la Fondation de France depuis 6 ans. J’ai d’ailleurs connu Vincent Fauvet dans le cadre d’une association étudiante qui organisait des sorties de personnes en situation de handicap.

Guillaume Gaud : L’aventure Continuum+ s’est déclenchée suite à une expérience humanitaire d’un an en Inde auprès de l’ONG LP4Y (Life Project For Youth), un engagement que je prolonge quand le temps me le permet. Je reste trésorier d’une association en lien avec LP4Y qui se propose de réunir l’ensemble des associations œuvrant pour l’insertion sociale et professionnelle à travers l’entrepreneuriat. Constitué sous forme d’un « action tank », ce réseau appelé « Youth for Change Network » (www.y4cn.org) entreprend des actions de plaidoyers, de formations et demain, nous l’espérons, d’appels à projets sur des actions de terrain d’envergure. Très sensible aux personnes les plus vulnérables quel que soit le contexte, dans des environnements en développement ou dans nos sociétés occidentales, je suis également impliqué dans un programme appelé « Hiver Solidaire » que l’artiste Vianney a récemment mis sous les feux des projecteurs. Il s’agit d’organiser l’accueil des exclus sociaux qui vivent dans la rue. Avec un collectif de personnes engagées, je dédie plusieurs nuits durant l’hiver comme veilleur à leurs côtés pour partager le gîte et le couvert dans des lieux mis à disposition par le diocèse de Paris. Un moment de rencontre extraordinaire avec des personnes très exposées. Je ne peux qu’inviter chacun d’entre vous à faire l’expérience. Elle nous renvoie à notre condition d’humain et surtout à une volonté partagée de vivre debout et digne.

  • Avez-vous une devise, une citation à partager ?

Pauline d’Orgeval : J’en ai deux !
La plus connue : Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. Je me rends compte tous les jours de la force qu’on a en étant trois associées, très différentes, et avec un mode de travail très collaboratif qui nous permet d’engager le plus possible les parties prenantes de DeuxièmeAvis.fr comme de Coactis-Santé.
Notre devise du moment : La grandeur d’une société se mesure à l’attention qu’elle porte aux plus fragiles.

Guillaume Gaud : Je n’ai pas de devise ou de citation en particulier, je formulerai simplement une réflexion : c’est qu’il n’est jamais trop tard pour agir positivement et qu’en la matière « ça commence par moi ». Une formule que j’emprunte à Julien Vidal, ancien volontaire de LP4Y et à son ouvrage qu’il a écrit à son retour de mission pour contribuer à résoudre le défi environnemental. Une invitation à agir d’abord à son niveau et autour de soi.

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