Nous avons eu la chance d’interviewer Axel Dauchez, fondateur de Make.org, la nouvelle participation d’Investir&+. Il nous parle de son parcours et de ce qui l’a poussé à créer Make.org.
« Axel, peux-tu nous présenter Make.org, que tu as lancé en novembre 2015 ? »
Make est une plateforme d’engagement de la société civile dans la transformation de la société. Aujourd’hui, la société a envie de s’engager pour l’intérêt général mais les gens sont également très intimidés et ne trouvent pas les moyens de le faire. Par conséquent, la société a du mal à se transformer.
En parallèle, on assiste à un défiance vis-à-vis des pouvoirs publics.
Make agit vraiment comme un catalyseur pour organiser des coalitions massives de la société civile, mêlant associations, grandes entreprises, startups, institutions etc. afin de véritablement transformer la société.
« Concrètement, comment Make catalyse-t-il cette transformation ? »
Il y a deux axes majeurs de transformation.
Le premier axe est celui des grandes causes d’intérêt général. L’idée est de choisir un problème de société majeur, comme les violences faites aux femmes ou l’égalité des chances pour les jeunes. Pendant un programme de 3 ans, la coalition des différents acteurs va faire émerger des idées et les mettre en œuvre concrètement afin d’aboutir à une vraie transformation sociétale. Pourquoi ? Car la société civile a bien plus de pouvoir que les pouvoirs publics si elle s’organise en coalition.
Le second axe consiste à agir sur les institutions elles-mêmes, en créant une irruption de la société au sein des institutions. Par exemple, permettre aux citoyens de poser des questions au gouvernement, dans les Assemblées. On travaille aussi sur les conventions démocratiques européennes pour permettre aux Européens eux-mêmes de reconstruire le projet européen.
Dans les deux cas, on souhaite à la fois une transformation réelle de la société et un engagement massif des gens vers l’intérêt général. C’est essentiel pour construire la société.
Le processus de transformation, lui, se fait en trois étapes. D’abord, on problématise un sujet et on recrute plusieurs centaines de milliers voire plusieurs millions de citoyens pour répondre à une question ouverte sur cette problématique. Par exemple, pour notre campagne sur les violences faites aux femmes, nous avons envoyé le sujet à 8 millions de personnes et plus de 400 000 nous ont répondu.
Ensuite, on confronte ce qui ressort de la question aux entreprises, aux institutions… en somme, ceux qui connaissent les contraintes autour de cette problématique. C’est vraiment l’intelligence collective qui nous permet d’identifier les actions qui ont le plus gros potentiel de transformation.
Enfin, on propose la mise en place d’actions très concrètes, co-conçues par la coalition.
« Comment mesurez vous la transformation de la société? »
Nous avons un roadbook très précis à l’aune de chacun des trois temps. Ce qui compte beaucoup pour nous, c’est le nombre de personnes engagées. On veut vraiment que Make soit un outil pour un engagement massif.
« Quel a été ton parcours avant Make.org et qu’est-ce qui t’a donné envie de monter cette civic tech ? »
J’ai un parcours très varié. J’ai dirigé des boîtes très différentes comme Deezer ou Publicis. En revanche, il y a toujours eu une constante : mes jobs ont tous été assez aventuriers !.
Je pense que mon parcours aventurier reflète mon goût immodéré pour les situations complexes où tout est à inventer. En tout cas, c’est ce qui m’a guidé pendant vingt ans.
Il y a deux ans, mon goût pour les projets aventureux a rencontré mon inquiétude sur l’évolution de nos démocraties. De cette rencontrée est née Make.org. C’est mon premier job engagé !
« Justement, dirais-tu que tu es quelqu’un d’engagé ? Selon toi, faut-il forcément être engagé pour entreprendre ? »
C’est une très bonne question. Selon moi, l’engagement a deux composantes disjointes :
– S’engager, c’est entreprendre dans son sens aventurier. C’est se lancer dans des projets, pur business ou à impact, qui nécessitent de hauts niveaux d’investissement. Ces projets sont souvent rattachés à des ambitions qui dépassent la taille de la structure dans laquelle tu es. Ils sont aussi très incertains. Si tu cherches le succès, tu n’es jamais sûr de l’avoir. En revanche, si tu cherches le chemin aventurier, tu es sûr de le trouver !
C’est une démarche dans laquelle tout le monde ne se sent pas bien. Certaines personnes vont être les meilleurs dans l’optimisation. D’autres, comme moi, sont plus à l’aise dans la jungle avec un coupe-coupe !
– L’autre composante, c’est celle de l’engagement au service de l’intérêt général. Cet engagement peut être entrepreneurial ou pas. En tout cas, ton énergie sert alors à une cause qui te dépasse.
C’est le basculement que j’ai opéré en créant Make.org.
L’engagement, c’est aussi l’engagement des citoyens. Aujourd’hui, en France, 1,5 million de personnes sont engagées, au sens traditionnel du terme, dans des associations ou en politique. Mais c’est un nombre beaucoup plus important de citoyens qui ont envie de s’engager. Le problème est que l’offre n’est pas adaptée : l’engagement traditionnel est souvent intimidant et les gens ne savent pas comment faire.
Imaginez le potentiel de force si on arrivait à convertir tous ces gens à l’engagement. C’est ce qu’on essaie de faire avec Make.
« Par rapport à tes aventures entrepreneuriales précédentes, qu’est-ce qui t’a le plus surpris en lançant Make? »
Je ne mesurais pas à quel point j’étais en phase avec ce dont la société avait besoin et ses évolutions.
D’abord, mon constat sur le besoin de reconnexion des citoyens avec les pouvoirs publics … j’ai vraiment été étonné par ce « time-to-market » que je n’avais pas anticipé !
Ensuite, même si j’avais espéré la volonté des gens de rentrer dans ce mécanisme de transformation de la société, je n’en avais aucune preuve. Aujourd’hui, je le vois.
Enfin, j’ai été aussi très surpris par le basculement des entreprises. Les entreprises ont d’abord été construites autour de réalités économiques. Ensuite, elles ont mis en place des démarches RSE afin d’assurer une empreinte positive sur la société, mais de manière compensatoire. Aujourd’hui, les entreprises ont basculé vers une démarche bien plus essentielle : elles doivent justifier de leur existence, je dis bien existence, par la preuve de leur contribution sociétale. Si une entreprise n’est pas capable d’expliquer formellement ce à quoi elle sert dans la société, il y a un problème.
On le voit avec certaines entreprises qui ont vu le nombre de leur CV entrants chuter de 40%. Elles n’arrivent plus à attirer les talents, deviennent intransformables et font face à des acteurs économiquement plus performants qu’elle.
Avec l’aventure Make, j’ai réalisé que tous les acteurs partagent la même problématique : comment construire notre rôle dans la société ?
« Pourquoi avoir choisi Investir&+ pour t’accompagner? »
Le mélange de mon actionnariat reflète le mix de mon entreprise, que je définirai comme entreprise économique de la tech, à vocation sociétale. Autour de la table, il y a deux fonds d’impact dont Investir&+ et un fonds tech.
J’avais besoin d’un fonds tech pour faire valider la réalité de la technologie sur laquelle Make s’appuie. J’avais besoin de fonds d’impact pour valider la justesse de ma vision et l’authenticité de ma démarche.
Investir&+ n’est pas seulement un fonds d’impact mais un fonds d’impact entrepreneurial. Avec l’équipe d’Investir&+, j’ai l’impression d’être en face d’entrepreneurs plus que d’investisseurs. Ils ont compris ma démarche très naturellement.
J’ai été vraiment marqué par la manière dont Investir&+ a vraiment compris notre identité et nos atouts et nous a proposé, en tant qu’accompagnateur Aymeric Marmorat. Il s’avère qu’Aymeric est vraiment la personne qu’il nous fallait pour nous accompagner. Ils ont vraiment cerné quels étaient nos besoins et comment compléter ce qu’on était déjà. C’est quelque chose d’assez rare et très précieux.
« Pour conclure, une phrase inspirante? »
J’en ai beaucoup !
Mais si je devais donner une phrase qui m’a pas mal inspiré… C’est Jacques Brel interviewé par Jacques Chancel, qui lui demande « Jacques, dites nous, qu’est ce qu’il faut faire pour changer le monde ?». Jacques Brel réfléchit alors un grand temps, et après un moment de silence, il dit : « Il faut essayer ».
Propos recueillis par Mari Kameyama, Investir&+