Le système de santé publique au Etats-Unis se caractérise, par rapport aux autres nations industrialisées, par le nombre important de personnes non assurées et par ses faibles résultats en termes d’indicateurs de santé publique qui contrastent avec le coût particulièrement élevé du système.

Le « Affordable Care Act » (ACA), plus connu sous le nom d’Obamacare, a permis d’assurer des millions d’Américains (qui pour la plupart ont choisi de souscrire des assurances privées offertes dans le cadre de l’ACA). Cependant, la vulnérabilité liée au coût prohibitif des assurances santé reste un souci majeur et, jusqu’à présent, l’innovation sociale n’a pas réussi à avoir un effet direct et significatif sur cet aspect. Les plus vulnérables ne sont en effet pas assurés ou bien sont « mal » assurés, c’est-à-dire qu’ils ont choisi les assurances les moins chères qui sont aussi celles assorties des franchises les plus élevées (sommes à la responsabilité de l’assuré avant que l’assurance ne couvre les frais) ou bien de paiements significatifs à la charge de l’assuré pour chaque prestation (de la visite à son médecin, à une radio, ou une admission aux urgences).

L’innovation sociale aux USA dans le domaine de la santé s’est plutôt portée sur une meilleure qualité de soins pour certaines catégories de personnes vulnérables, des diagnostics plus précis, une commodité accrue, et une meilleure efficacité du système avec un objectif de baisse des coûts.

1) Meilleure qualité des soins

Plusieurs start-ups comme Iora Health et Devoted Health ciblent, en priorité, les populations vulnérables, telles que les personnes âgées de plus de 65 ans qui aux USA ont accès, si elles le souhaitent, au programme d’assurance fédéral Medicare. Ces entreprises proposent à cette population des plans d’assurance privée qui présentent des avantages par rapport à celui standard offert par Medicare. En termes de simplicité, un seul plan est offert alors que, pour ceux choisissant le plan Medicare, ils doivent aussi souscrire une complémentaire pour les soins dentaires ou les prescriptions de lunettes. Surtout, en termes de qualité de soins, l’innovation réside en la constitution d’une équipe intégrée de soignants qui interagit avec le patient, avec dans le cas de Iora Health par exemple, un « Health Coach » qui est l’interlocuteur privilégié des patients et les guide notamment en termes d’actions de santé préventive. Sur le plan technologique, une « plate-forme collaborative de soins » appuie l’intervention des différents soignants et est ouverte aux patients qui peuvent ainsi avoir accès à leurs dossiers médicaux dans leur ensemble.

2) Meilleurs diagnostics

  • La notion d’Internet of Things or IoT intègre progressivement notre réalité quotidienne. Dans le domaine de la santé, l’équivalent est le « Internet of Medical Things » (IoMT), à savoir des données provenant d’un « contrôle médical du patient à distance » (remote patient monitoring) grâce à des équipements ou des logiciels eux-mêmes reliés aux systèmes informatiques des établissements de santé. L’utilisation de ces données a reçu une incitation majeure en 2018, et notamment pour les populations les plus vulnérables, puisque les Centres pour les programmes Medicare et Medicaid (programmes du gouvernement fédéral d’assurances médicales à destination des plus démunis et des personnes âgées de plus de 65 ans) ont décidé de permettre aux soignants d’indiquer le temps qu’ils passent (et ainsi d’être rémunérés) sur l’utilisation et l’interprétation de ces données dans leurs diagnostics.
  • L’intelligence artificielle a également permis de produire des innovations permettant des meilleurs diagnostics. C’est ainsi que l’entreprise Basil Leaf Technologies a créé DxtER, un instrument basé sur l’intelligence artificielle qui apprend à faire des diagnostics en intégrant les enseignements de la médecine d’urgence avec l’analyse de données médicales des patients (telles que les signes vitaux ou les fonctions biologiques) recueillies par des capteurs non invasifs.
  • L’utilisation de capteurs et de caméras hyper sensibles s’avère également utile dans la bonne gestion des alarmes en milieu hospitalier. En effet, statistique édifiante, près de 50% des alarmes pour arrêt cardiaque ne sont pas traitées de manière appropriée. Ainsi, certains établissements ont mis en place une télésurveillance centralisée dans le cadre de laquelle des techniciens, qui ne sont pas sur le site, suivent une série d’indicateurs critiques, déterminés en accord avec les soignants, grâce à des capteurs et des caméras. Ils envoient ainsi des alertes aux soignants quand la situation le requiert. L’expérience s’est avérée être un succès puisque dans ces établissements le taux de survie des patients subissant un arrêt cardiaque est de 93%.

3) Commodité accrue

De nombreuses entreprises se sont créées autour de produits et services offrant une commodité accrue aux soignants ou aux patients. Elles recourent souvent à l’intelligence artificielle. C’est ainsi que Kore.ai offre des « robots intelligents » (smart bots) aux établissements de santé qui sont en communication avec les patients et s’occupent de tâches administratives, telles que la prise de rendez-vous, le renouvellement d’ordonnances, la communication des résultats d’analyses, ou le paiement de factures. De la même façon, Safedrugbot utilise aussi la technologie des « bots » pour offrir aux professionnels de la santé les informations dont ils ont besoin pour la prescription de médicaments pendant la période d’allaitement de leurs patientes par exemple. Enfin, Izzy aide les femmes dans la gestion de leurs règles et la prise de contraceptifs.

4) Meilleure efficacité

  • L’intelligence artificielle est aussi utilisée afin d’engranger des gains d’efficacité, par exemple une optimisation entre l’offre et la demande comme c’est le cas avec Cerebro. Cerebro a créé une plateforme pour personnel infirmier intérimaire et établissements de santé. Cette plateforme propose au personnel médical des missions correspondant au mieux à leur profil et à leurs désirs et permet ainsi aux hôpitaux de réduire leurs pénuries en personnel qualifié et au personnel soignant d’augmenter ses revenus par rapport à une collaboration avec une agence d’intérim.
  • Etant donné l’extrême complexité des systèmes, l’innovation en matière de santé publique est venue aussi de la partie immergée de l’iceberg, à savoir le « back-office » qui est crucial dans la gestion de n’importe quel système de santé. Par exemple, athenahealth offre à ses établissements de santé clients une « approche par réseau » qui prévoit une offre intégrée de facturation, d’engagement avec les patients, de gestion de leurs données médicales, de coordination des soins entre équipes médicales, et de tenues de statistiques cliniques et financières. Outre l’originalité de son approche de services intégrée, athenahealth propose une solution en ligne au lieu de l’option plus traditionnelle de logiciel, incorporant ainsi les mises à jour règlementaires et étant facturée sur la base d’un partage de bénéfices avec les clients plutôt que sur la base des prestations effectuées.

Même si les nouvelles technologies ont permis d’accroitre l’efficacité du système, pour les professionnels et les patients, et au premier rang les plus vulnérables, il y a une reconnaissance dans les milieux de la santé aux Etats-Unis qu’il y a encore beaucoup à faire. Par exemple dans le domaine des données médicales personnelles, la ville de Boston est un bon exemple de la complexité de la gestion des dossiers médicaux électroniques (electronic medical records) puisqu’il existe pas moins de 26 systèmes de données électroniques qui ne communiquent pas les uns avec les autres. La technologie de blockchain pourrait permettre de créer une base de données unique, indépendante, et partagée.

En conclusion, le système de santé publique américain a déjà connu de nombreuses innovations au cours des dernières années, certes dans un contexte reconnu comme se caractérisant par un coût global extrêmement élevé, en particulier par rapport aux résultats enregistrés et l’état de santé de la population. Cependant, des progrès sont notables. En revanche, l’innovation sociale touchant les populations les plus défavorisées s’est plutôt faite à la marge jusqu’à présent, peut-être parce que l’ampleur des problèmes rencontrés par le système dans son ensemble et la difficile équation économique pour les plus pauvres ont rendu plus facile l’émergence de solutions affectant le système en général et non pas une population en particulier.

Par Philippe Taieb – phitaieb@gmail.com